PHOTO/MONTPELLIER E.MORIN(101 ans) rencontre des étudiants en archi (OCTOBRE 2022)
"Je n'en serais jamais arrivé là si ma mère, que j’adorais, n’était pas morte
quand j’avais 10 ans. Son cœur s’est arrêté dans un train qui arrivait gare Saint-Lazare et on ne m’a rien dit. Mon oncle Joseph est venu me chercher à l’école en expliquant que mes parents étaient
partis en cure. Le jour de l’enterrement, mon père est venu me voir, entièrement vêtu de noir. Quand je l’ai vu, j’aicompris. Il m’a répété
que ma mère était partie en voyage. Je savais que c’était des mensonges et m’enfermais dans les cabinets pour pleurer. (...)
Elle avait une lésion au cœur et ne devait pas avoir d’enfants. Elle a essayé de m’avorter, mais je me suis accroché. J’étais enfant unique.
Ma mère était d’autant plus attachée à moi qu’elle ne pouvait pas avoir d’autres enfants. D’elle, je garde un souvenir intense et flou. Elle m’emmenait au salon de thé des Galeries
Lafayette ou chez sa couturière pour me confectionner des costumes de petit marin. Je ne voulais pas aller à l’école, mais rester auprès d’elle. Une fois, pendant une excursion près du lac de Gérardmer,
dans les Vosges, elle s’est évanouie. Je me souviens de mon affolement. Mais j’ai oublié le son de sa voix. Ma mère s’appelait Luna. Longtemps, je l’ai identifiée à la lune, à la déesse
Astarté que prie Salammbô, et, à chaque pleine lune, je lui rendais un culte. Encore aujourd’hui, pendant les moments de tristesse, son souvenir revient. De sa mort, je ne me suis jamais remis.Et, pendant
toute ma vie, j’ai rêvé d’elle.(...)"
EDGARD MORIN