" Nathanaël, je te parlerai des attentes. J’ai vu la plaine, pendant l’été,
attendre ; attendre un peu de pluie. La poussière des routes était devenue trop
légère et chaque
souffle la soulevait. Ce n’était même plus un désir ; c’était une
appréhension. La terre se gerçait de sécheresse comme
pour plus d’accueil de
l’eau. Les parfums des fleurs de la lande devenaient presque intolérables. Sous
le soleil tout se pâmait. Nous allions chaque après-midi nous reposer sur la
terrasse, abrités un peu de l’extraordinaire éclat du jour. Sous
le soleil tout se
pâmait. Nous allions chaque après-midi nous reposer sous la terrasse, abrités
un
peu de l’extraordinaire éclat du jour. C’était le temps où les arbres à cônes,
chargés de pollen, agitent aisément leurs branches
pour répondre au loin leur
fécondation. Le ciel était chargé d’orage et toute la nature attendait. L’instant
était d’une solennité trop oppressante, car tous les oiseaux s’étaient tus. Il
monta de la terre un souffle si brûlant
que l’on sentit tout défaillir ; le pollen
des conifères sortit comme une fumée d’or des branches. – Puis il plut.
J’ai vu le ciel frémir de l’attente de l’aube. Une à une les étoiles se fanaient.
Les prés étaient inondés de rosée ; l’air n’avait que des caresses glaciales. Il
sembla quelques temps que l’indistincte
vie voulût s’attarder au sommeil, et
ma tête encore lassée s’emplissait de torpeur. Je montai jusqu’à la lisière du
bois ; je m’assis ; chaque bête reprit son travail et sa joie dans la certitude que
le jour va venir,
et le mystère de la vie recommença de s’ébruiter par chaque
échancrure des feuilles. – Puis le jour vint.
J’ai vu d’autres aurores encore. – J’ai vu l’attente de la nuit...
Nathanaël, que chaque attente
en toi, ne soit même pas un désir, mais simplement
une disposition à l'accueil.Attends tout ce que qui vient à toi. Ne désire que ce que
tu as."
André Gide
Les Nourritures terrestres,
Editions du Mercure de France, 1897