Le miel
Le malheur du miel lui vient d’être trop prometteur. Il est visuellement tout entier félicité, tout entier pleine adhésion à lui-même. Mais à force
d’être ainsi moulé à sa forme, d’être en mélange avec son apparence, il n’est plus que tromperie. Ne faisant qu’un avec son aspect, il est illusion. Sa ductilité le condamne. Il coule comme du
jus de lanterne. Sa fausseté provient en effet de sa trop grande univocité onctueuse. Il est trop richement lui-même pour être honnête. De même qu’il est trop chichement autre chose que lui-même pour être
vraiment soi. Sa surface est trop intimement mêlée à sa profondeur, lorsqu’on l’éprouve de la cuiller dans le pot, pour ne pas résulter d’une fourbe machination. Une telle unicité de comportement sous
la manipulation ne peut venir que d’une duplicité supérieure. On n’a jamais vu pareille tresse faite d’un seul brin, que je sache. Sa netteté d’apparence est louche. Être si peu trouble, est-ce possible ?
D’ailleurs le miel est doux, mais son goût ne l’est pas. On dirait un tank de fleurs qui passe dans la gorge. En vérité ce sombre éclat cache une râpe mielleuse, une âpreté dans des rubans. Et cette
facilité à couler, c’est surtout propension à coller. Le miel est de la poix sucrée. De la poisse de miel.
Laurent Albarracin