Madame,
ça chante en moi.
Hop la...
Du plus loin qu’il m’en souvienne votre chant, Madame,
me met dans un indicible trouble.
Je tente cependant aujourd’hui, de vous dire, par delà le temps, l’enthousiasme de mes 20 ans à Toulouse avec André mon fiancé et Michel mon ami d’enfance mort
aujourd’hui du Sida, et je vous imagine souriante quand j’évoque, pour vous, combien nous étions assoiffés de mots, de musique, de poésie et désireux des méandres de votre voix qui nous
faisaient un lit d’amour, et des jours et des nuits d’amour...
Comme une plume, ce jour là, vous êtes arrivée sur la scène, dans votre maturité et, nous, jeunes encore,
sensibles et plein d’émotions prémonitoires nous étions inconditionnels, absolus. ! Michel sautait sur son fauteuil, allait vous offrir une rose rouge à l’entracte, revenait en nous disant : « Elle m’a
reconnu »
Comme nous étions heureux avec vous cette nuit là !
Alors, pour ne pas nous séparer de cette émotion fondatrice, nous vous avons emportée dans nos bagages éternellement.
A partir de ce jour là, il y eut pour moi ceux qui vous aiment et les autres.
Et... ça chante encore aujourd’hui en moi et ça pleure le temps passé, mais, comme par inadvertance, vous revenez, fantôme
de l’opéra en ce jour de pluie de mots.
Vous voici donc transfigurée, vertige parfait, Vénus née dans l’onde d’un tableau de Soulages, striant de lumière ses zones verticales.
Vous voilà Joconde ambiguë dans un Louvre céleste mais tellement plus vivante qu’elle, corps de ballet à vous seule, accent grave dans l’aigu, spirale de fourrure, bas résille entre deux
portes, lèvres rougies dans la nuit, sanglot long de l’automne, éclat d’un rire pirouette.
Maintenant, ce sont des images qui s’imposent à moi dans un film étrange et pénétrant
comme un rêve verlainien. Il y a des aigles noirs sur les pavés de Nantes et la pluie qui bat la mesure de vos pas ; il y a des enfants juifs qui jouent comme des enfants, des morceaux de soleil, des aubes
qui reviennent quand même, de la beauté partout où on ne l’attend plus, des appels, des retours, des départs encore des départs.
Est –ce la main de Dieu, est-ce la main du Diable
qui fait que vous restez en moi comme un refrain serti de roses de velours au jardin que voilà ?
Des phrases chantent toutes seules dans mon cœur comme un orgue de Barbarie, de Barbara dit votre ami Serge Lama, petits cailloux blancs
qui dessinent le chemin quand j’ai peur.
J’avance.
Si, mi, la, ré, Si mi la ré, Si sol, do fa, Si, mi, la, ré...Oh ! Mon amie oh ma douce, recommencez
pour moi votre petite cantate, soupir de l’attente du baiser du soir du narrateur dans la recherche du temps perdu car, Madame, que cherchiez vous, sinon ce temps perdu qui jamais ne revient ?
Conscience ouverte
entre vivre et mourir, icône en majesté, je vous regarde avancer avec des offrandes d’espoirs et de présence pure dans les yeux.
Et si nous nous
étions retrouvées et qu’il ne soit pas trop tard dans votre île aux mimosas ? Qu’importe ce qu’on peut en dire, je tenais à vous le dire : ma plus belle histoire
d’amour c’est vous aussi, Madame, quand vos mots font écho aux miens dans le partage, la communion de notre humaine condition de femmes sensibles, sensibles aussi à certains hommes.
Vous savez bien
que je parle de ceux que vous attendiez, de ceux qui ne sont pas revenus de la salle des pas perdus ou de ceux que nous aimons toujours ou que nous aimons maintenant dans notre vague à l’âme, oiseaux de lune s’accrochant à la
brume de nos regards fiers, chevaux d’écume qui galopent, galopent ...
Je crois en l’aurore, je crois au chant rédempteur, au vôtre, au mien, et je vous tutoie ce soir, Barbara, comme Prévert
tutoie tous ceux qu’il aime, même s’il ne les connaît pas.
Hop la !