"Mais à l'approche des vacances de Pâques, quand mes parents
m'eurent promis de me
les faire passer une fois dans le nord de l'Italie, voilà qu'à ces rêves de tempête
dont j'avais été rempli tout entier, ne souhaitant
voir que des vagues accourant de partout, toujours plus
haut, sur la côte la plus sauvage, près d'églises escarpées et rugueuses comme des
falaises et dans les
tours desquelles crieraient les oiseaux de mer, voilà que tout à coup les effaçant, leur ôtant tout charme,
les excluant parce qu'ils lui étaient opposés et n'auraient pu que l'affaiblir, se substituaient en moi le rêve
contraire du printemps le plus diapré, non pas le printemps de Combray qui piquait encore aigrement
avec toutes les aiguilles
du givre, mais celui qui couvrait déjà de lys et d'anémones les champs de Fiésole
et éblouissait Florence de fonds d'or pareils à
ceux de l'Angelico. Dès lors, seuls les rayons, les parfums,
les couleurs me semblaient avoir du prix; car l'alternance des images avait amené en moi un
changement
de front du désir, et, - aussi brusque que ceux qu'il y a parfois en musique, un complet changement de ton
dans ma sensibilité. Puis il arriva qu'une simple variation atmosphérique suffit à provoquer en moi cette
modulation
sans qu'il y eût besoin d'attendre le retour d'une saison. Car souvent dans l'une, on trouve
égaré un jour d'une autre, qui nous y fait vivre, en
évoque aussitôt, en fait désirer les plaisirs particuliers
et interrompt les rêves que nous étions en train de faire, en plaçant,
plus tôt ou plus tard qu'à son tour, ce
feuillet détaché d'un autre chapitre, dans le calendrier interpolé du Bonheur."