Mes Poèmes au fil des jours et des nuits/tous droits réservés

 

L’initiale de mon prénom est un A.

Enfant, j’ai appris à l’écrire en traçant trois traits : le premier oblique descendant à gauche, le second oblique descendant à partir du sommet du précédent trait, à droite, la troisième transversal court et droit reliant les deux.

Cela réalisait un A majuscule.

J’écris de plus en plus souvent au clavier de l‘ordinateur et ne prends la plume que rarement. C’est ce que je fis dernièrement et, traçant un A majuscule pour écrire Avril, je constatai que je n’écrivais pas mon A ainsi que je l’avais appris mais de la façon suivante : partant du bas (et non du haut) à gauche, je m’élevais en oblique puis, sans lever la plume, descendais en oblique droit et remontais sans toujours lever la plume pour nouer les deux obliques ensemble au milieu. Cela faisait un A plus rond, sorte de nœud marin que je ne peux pas dessiner au clavier.

Alors, surprise par mon geste, me revint le souvenir d’une séance de devoirs « à la maison » pendant l’école primaire. Je devais avoir 8 ou 9 ans. Cette séance avait lieu chez mon amie d’enfance M. C’était, pour moi, une fête de faire les devoirs chez elle, sur la grande table carrée de la salle à manger que je connaissais bien, fréquentant régulièrement sa maison auprès de sa mère qui brodait au bord de la fenêtre telle le brodeuse de Vermeer. C’était une fête pour moi, car c’était rare que j’eusse le droit de rester chez M. pour faire mes devoirs. Nous étions toutes les deux dans la même classe, nous étions inséparables. Ce jour- là, un jeudi sans doute, son père passa auprès de nous et dit à M. que je formais mieux les lettres qu’elle, qu’elle devait prendre exemple : j’en fus saisie.

L’autre jour, écrivant donc un A d’Avril, je constatai que je faisais le A comme M. Le geste mimétique, parfaitement semblable à son A que je reconnaîtrais entre mille était une étrange inversion qui avait ancré en moi la parole de son père comme si je ne voulais pas écrire mieux que mon amie, trouvant, finalement son A plus harmonieux que le mien.

Mon geste signait l’enfance fusionnelle, et même si les liens se sont déliés, laissant des barres de A dispersées comme des bûchettes, si j’écris encore souvent, pas toujours, un A façon M, je revois le buffet de la salle à manger, la chaise de la brodeuse, l’évier dans le coin à gauche, les tomettes rouges du sol, la fenêtre ouverte sur les immenses cèdres bleus de la maison d’en face, le banc de pierre de l’autre côté de la rue où nous avons tant ri et tant rêvé, de la rue qui s’appelait « Des alliés » comme par hasard, et j’entends les voix des autres camarades, je revois la lumière des soirées d’été pendant les grandes vacances, je ressens les heures comptées avant le rappel familial comme un arrêt sur image… ville et jardins dans ma tasse de thé a écrit Proust, car mon geste reconstitue un A majuscule et fier , véritable tour Eiffel du pays de l’enfance.

 

 A St John Perse, ( tasse de thé de M.) , qui demande :

«Sinon l’enfance , qu’ y avait-il alors qu’il n’y a plus ? »,

je peux, (ayant maintenant écrit ma page d’écriture), enfin  répondre : un A majuscule !

 

 

 

Anny C

Fil rouge aux grains de grenade

inédit

 

 

 

Commentaires

06.04 | 06:20

Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions .
Ecrire , crypter ce vécu , cette traversée .....

10.10 | 11:28

Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces deux piliers de la vie - Merci Annie de si bellement nous le rappeler.

25.01 | 06:56

MAGISTRAL, DEVOS

06.08 | 13:40

Bonjour Anne Marie,

Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai jamais réussi à lire, je vais essayer à nouveau avec "l'Homme au trois lettres".

marc