Au fil des mots

EPHEMERIDE

 

Zoom sur...une œuvre unique.

Alain Fournier/Le Grand-Meaulnes ...

 De son vrai nom Henri Alban Fournier né en 1886 à la Chapelle d’Anguillon et mort en 1914 à la guerre (porté disparu le 22 septembre).


 Le Grand Meaulnes est la seule œuvre d’Alain-Fournier. Elle fut publiée en 1913 peu avant la première guerre mondiale, période rythmée par le progrès technique. L'histoire de Le Grand Meaulnes est fortement similaire à la vie d’Alain Fournier.
 

Témoignage de son ami Jacques Rivière:

"Le fait est simplement qu’il rencontra un jour, dans Paris, au Cours-la-Reine, une jeune fille merveilleusement belle qu’il suivit, dont il découvrit par mille ruses le nom et l’adresse, qu’il retrouva et, bien qu’elle eût l’air extrêmement réservée, aborda. Le miracle est qu’il obtint d’elle quelques mots de réponse qui purent lui donner à croire qu’il n’était pas dédaigné. Et il sentit que l’étrange apparition devait faire un effort sur elle-même pour briser l’entretien et lui dire : « Quittons-nous ! Nous avons fait une folie. »

Des années passèrent sur cette rencontre sans effacer l’impression que Fournier en avait reçue ; au contraire elle alla en s’approfondissant.

La jeune fille avait quitté Paris ; Fournier eut beaucoup de peine à retrouver sa trace ; et quand il y parvint, longtemps plus tard, ce fut pour apprendre, avec un immense désespoir, qu’elle était mariée.

Ayant suivi Alain-Fournier depuis son adolescence jusqu’à sa mort, je puis dire que cet événement si discret fut l’aventure capitale de sa vie et ce qui l’alimenta jusqu’au bout de ferveur, de tristesse et d’extase. Ses autres amours n’effacèrent jamais les mêmes parties de son âme. Il voyait toujours la parfaite jeune fille penchée sur lui ; il ne lui demandait pas de se caractériser ni de se révéler à lui dans sa différence ; il n’avait aucun besoin, dans le fond, de la connaître au sens complexe et dangereux du mot ; il lui suffisait qu’elle fût impossible comme la vie ; elle non plus, n’était « peut-être pas tout à fait un être réel » : c’est par quoi, en le comblant d’amertume, elle le consolait aussi."

 

Ce qu'on sait moins, c'est qu'il fut aussi poète...

 

à travers les étés

(A une jeune fille
A une maison
A Francis Jammes)


Attendue
A travers les étés qui s’ennuient dans les cours
en silence
et qui pleurent d’ennui,
Sous le soleil ancien de mes après-midi
Lourds de silence
solitaires et rêveurs d’amour

d’amour sous des glycines, à l’ombre, dans la cour
de quelque maison calme et perdue sous les branches,
A travers mes lointains, mes enfantins étés,
ceux qui rêvaient d’amour 
et qui pleuraient d’enfance,

Vous êtes venue,
une après-midi chaude dans les avenues,
sous une ombrelle blanche,
avec un air étonné, sérieux, 
un peu
penché comme mon enfance,
Vous êtes venue sous une ombrelle blanche.

Avec toute la surprise
inespérée d’être venue et d’être blonde,
de vous être soudain
mise
sur mon chemin,
et soudain, d’apporter la fraîcheur de vos mains
avec, dans vos cheveux, tous les étés du Monde.

*

Vous êtes venue :
Tout mon rêve au soleil
N’aurait jamais osé vous espérer si belle,
Et pourtant, tout de suite, je vous ai reconnue.

Tout de suite, près de vous, fière et très demoiselle,
et une vieille dame gaie à votre bras,
il m’a semblé que vous me conduisiez à pas
lents, un peu, n’est-ce pas, un peu sous votre ombrelle,
à la maison d’été, à mon rêve d’enfant,

à quelque maison calme, avec des nids aux toits,
et l’ombre des glycines, dans la cour, sur le pas
de la porte – quelque maison à deux tourelles
avec, peut-être, un nom comme les livres de prix
qu’on lisait en juillet, quand on était petit.

Dites, vous m’emmeniez passer l’après-midi
Oh ! qui sait où !… à « La Maison des Tourterelles ».

*

Vous entriez, là-bas,
dans tout le piaillement des moineaux sur le toit,
dans l’ombre de la grille qui se ferme, – Cela
fait s’effeuiller, du mur et des rosiers grimpants
les pétales légers, embaumés et brûlants,
couleur de neige et couleur d’or, couleur de feu,
sur les fleurs des parterres et sur le vert des bancs
et dans l’allée comme un chemin de Fête-Dieu.

Je vais entrer, nous allons suivre, tous les deux
avec la vieille dame, l’allée où, doucement,
votre robe, ce soir, en la reconduisant,
balaiera des parfums couleur de vos cheveux.

Puis recevoir, tous deux,
dans l’ombre du salon,
des visites où nous dirons
de jolis riens cérémonieux.

Ou bien lire avec vous, auprès du pigeonnier,
sur un banc de jardin, et toute la soirée,
aux roucoulements longs des colombes peureuses
et cachées qui s’effarent de la page tournée,
lire, avec vous, à l’ombre, sous le marronnier,
un roman d’autrefois, ou « Clara d’Ellébeuse ».

Et rester là, jusqu’au dîner, jusqu’à la nuit,
à l’heure où l’on entend tirer de l’eau au puits
et jouer les enfants rieurs dans les sentes fraîchies.

*

C’est Là… qu’auprès de vous, oh ma lointaine,
je m’en allais,
et vous n’alliez,
avec mon rêve, sur vos pas,
qu’à mon rêve, là-bas,
à ce château dont vous étiez, douce et hautaine,
la châtelaine.

C’est Là – que nous allions, tous les deux, n’est-ce pas,
ce dimanche, à Paris, dans l’avenue lointaine,
qui s’était faite alors, pour plaire à votre rêve,
plus silencieuse, et plus lointaine, et solitaire…
Puis, sur les quais déserts des berges de la Seine…
Et puis après, plus près de vous, sur le bateau,
qui faisait un bruit calme de machine et d’eau…


Alain-Fournier, Miracles, Gallimard 1924, rééd. 1961, p.99-102

Commentaires

06.04 | 06:20

Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions . Ecrire , cry...

10.10 | 11:28

Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces de...

25.01 | 06:56

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06.08 | 13:40

Bonjour Anne Marie, Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai ...