Au fil des mots

EPHEMERIDE

Le terme de « bouc émissaire » provient de la traduction grecque de « bouc à Azazel », un bouc portant sur lui tous les péchés d'Israël1. Si la tradition rabbinique conçoit Azazel comme une vallée désertique hostile, les auteurs de la Septante lisent ez ozel (« bouc en partance ») et traduisent en grec ancien par ἀποπομπαῖος τράγος / apopompaîos trágos, rendu en latin par caper emissarius. La notion de sacrifice de substitution est intégrée à la thématique chrétienne, Jésus étant présenté dans les Évangiles comme un agneau immolé, expiant les péchés du monde en mourant sur la croix au terme de sa passion.

L'expression française « bouc émissaire » est mentionnée dans le dictionnaire de Furetière (1690), avec une définition identique à celle donnée ci-dessus. Par la suite, on l'a utilisée pour désigner une personne sur laquelle on fait retomber les fautes des autres. Ce sens est déjà attesté au xviiie siècle. Georges Clemenceau le reprendra plus tard à propos de l'affaire Dreyfus :
« Tel est le rôle historique de l'affaire Dreyfus. Sur ce bouc émissaire du judaïsme, tous les crimes anciens se trouvent représentativement accumulés. »
— Georges Clemenceau, cité par le Thésaurus de la langue française.


Un ouvrage de René Girard intitulé Le Bouc émissaire (1982) montre à l'œuvre ce phénomène qu'il nomme le triangle mimétique : formé de trois pôles qui sont les individus A, B et le bien supposé, le triangle mimétique décrit ce jeu symbolique et la relation réelle entre A et B, dans laquelle B :
dispose d'un bien,
semble disposer d’un bien,
ou pourrait disposer d’un bien,
dont A pense soit :qu'il en est lui-même dépourvu, que sa propre jouissance du même bien est menacée par le seul fait que B en dispose (ou puisse en disposer).
Le « bien » est appelé par René Girard « objet » et il n’est pas nécessairement matériel.
Ce triangle mimétique semble motivé par la nécessité d’avoir à défaut de pouvoir être. Ne pouvant être l’autre directement, l’individu (A) pense que ce qui caractérise l’autre (B) et qui justifie encore la différence entre lui (A) et son modèle (B), est un avoir (l’objet ou le bien). Le problème réside dans l’imitation réciproque au désir de l’objet. Plus A va désirer l’objet, plus B (s’il rentre dans le mécanisme du désir mimétique) va faire de même. Et plus A et B vont (par rapport à leur désir) se ressembler.
Schématiquement, plus la tension vers l’objet est forte, plus l’indifférenciation entre A et B est importante. Pour René Girard, c’est cette indifférenciation des individus qui est porteuse de violence (au travers de la tension vers un même objet). Finalement, cette rivalité mimétique ainsi engendrée va être créatrice de conflit et de violence. Dans un autre ouvrage il note:
 « Fixer son attention admirative sur un modèle, c'est déjà lui reconnaître ou lui accorder un prestige que l'on ne possède pas, ce qui revient à constater sa propre insuffisance d'être ».
René Girard, note aussi que « le sujet méconnaîtra toujours cette antériorité du modèle, car ce serait du même coup dévoiler son insuffisance, son infériorité, le fait que son désir est, non pas spontané mais imité. Il aura beau jeu ensuite de dénoncer la présence de l'Autre, médiateur de son désir, comme relevant de la seule envie de ce dernier ».

Le phénomène du bouc émissaire est un phénomène collectif. C’est la réponse inconsciente (René Girard utilise le terme de « méconnaissance ») d’une communauté à la violence endémique que ses propres membres ont générée au travers des rivalités mimétiques dues au triangle mimétique.
Le phénomène du bouc émissaire est la loi du « tous contre un ». Il a pour fonction d’exclure la violence interne à la société (endémique) vers l’extérieur de cette société. Pour que ce phénomène soit effectif, il faut :
que la mise en œuvre du rituel du bouc émissaire reste cachée,que la violence résultante de cet acte n’entraîne pas une escalade de violence, d’où la nécessité d’un « typage » des victimes (elles ne sont pas choisies au hasard). C’est le principe de moindre violence, que les individus soient persuadés de la culpabilité du bouc émissaire, et (dans une moindre mesure) que les victimes soient persuadées d’être coupables.
Le problème de ce mécanisme régulateur de la violence est son caractère temporaire. En effet, la violence endémique générée par le désir mimétique ou mimésis se fait, tôt ou tard, ressentir. L’on a recours alors à un nouveau bouc émissaire.
En résumé, pour René Girard, le bouc émissaire est le mécanisme collectif permettant à une communauté archaïque de survivre à la violence générée par le désir mimétique individuel de ses membres (même si la détermination des désirs est, pour une très large part, collective). Le bouc émissaire désigne également l’individu, nécessairement coupable pour ses accusateurs mais innocent du point de vue de la « vérité », par lequel le groupe, en s’unissant uniformément contre lui, va retrouver une paix éphémère.
Le meurtre fondateur génère le religieux archaïque, les rites (répétitions de la crise mimétique) et les mythes (récits, déformés par les persécuteurs, du meurtre fondateur).
L'innocence du bouc émissaire, que nous connaissons bien aujourd'hui, est révélée par le biblique et tout particulièrement par la Crucifixion de Jésus-Christ, d'ailleurs parfois appelé "l'Agneau de Dieu" en référence au bouc émissaire. C'est bien la foule, et à travers elle, toute l'humanité, qui rejette ses fautes, culpabilités et péchés sur Jésus. Il est devenu impensable aujourd'hui de se représenter un ordre social antérieur à la révélation évangélique. Avec l'avancée de la révélation évangélique et l'évangélisation du monde au sens fort du terme (en plus du sens exclusivement religieux), le monde, privé de sa solution préférée, le mécanisme émissaire, devient de plus en plus violent, quoique les formes de civilisations ne cessent d'évoluer pour contenir, dans les deux sens du terme, cette violence dite "apocalyptique".

WIKIPEDIA


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Commentaires

06.04 | 06:20

Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions . Ecrire , cry...

10.10 | 11:28

Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces de...

25.01 | 06:56

MAGISTRAL, DEVOS

06.08 | 13:40

Bonjour Anne Marie, Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai ...