Au fil des mots

Une pirouette et puis voilà
Le mot « Voilà »

"Avez-vous remarqué que « Voilà » a envahi le langage actuel, comme un véritable fléau verbal ? Il fait des ravages : les interviews en sont émaillées, les moindres conversations en abusent. C’est une expression « tendance », omniprésente, secourable : après des points de suspensions embarrassés, accompagnés de gestes vagues, le « Voilà » délivre. Magique, il remplit les vides, comble les non-dits gênants, suggère, contourne, abrège, permet avantageusement de ne rien préciser, d’esquiver toute explication, de masquer son manque de vocabulaire, et, derrière lui, peut-être, d’idées. C’est un cache–misère.

Selon le ton de la voix, on le décline en nuances qui vont de la résignation au point final péremptoire, en passant par le préambule prudent ou l’expression d’une évidence dont on veut convaincre l’interlocuteur, sans se donner la peine d’argumenter. A moins que ce ne soit un cri de triomphe exclamatif et soulagé, quand l’autre a exprimé mieux que vous ce que vous n’auriez pas su formuler vous-même. Voilà est un mot qui favorise et entretient la paresse.

C’est l’ami commode qui vous accompagne fidèlement avec une fausse simplicité étudiée. Il permet de parler sans avoir rien à dire et de taire ce dont il faudrait parler. Il protège. Il clôt toute tentative d’ouverture.

C’est un animal domestique qui vous aide à pousser très loin la concision de langage. Jusqu’à l’indigence. Il annonce l’arrivée de l’aboiement généralisé, celui qui réduira à néant la subtilité de la communication humaine, ses nuances personnalisées et l’agilité de la pensée.

Voilà se présente lui-même, salue et quitte la scène du même petit mot magique.

Voici annonce. Voilà tire le rideau.

Circulez, il n’y a plus rien à entendre. Encore moins à comprendre.

Une pirouette et puis voilà !…

Marie hélène Sainton

Vue d'ensemble